Vers une normalisation économique Israël / AP ?

Vers une normalisation économique Israël / AP ?

Par Bertrand Ramas-Muhlbach

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En août 2022, un accord a été signé entre Israël et l’Autorité Palestinienne prévoyant l’obligation pour les entreprises israéliennes qui embauchent des Palestiniens (ressortissants des zones A et B de Judée-Samarie), de verser les salaires sur leur compte bancaires, et non plus en espèce. Cette mesure a offusqué les salariés palestiniens qui ont manifesté pour la dénoncer (le 21 août 2022, au point de passage). Ils redoutent, en effet, la mise en place prochaine (par l’AP) d’impôts, taxes ou redevances diverses. En réalité, si le mécanisme conduira indiscutablement à plus de transparence (tant en Israël que dans les territoires sous contrôle palestinien), il augure certainement d’une normalisation économique des relations entre Israël et l’AP.

Coté palestinien, le ministre du Travail a expliqué que le nouveau mode de règlement des salaires (qui doit entrer en vigueur en janvier 2023) visait à protéger les salariés palestiniens. En réalité, L’AP profitera également de la mesure : le versement de liquidités nouvelles dans les banques palestiniennes renforcera incontestablement l’économie des zones A et B de Judée-Samarie (en grande difficulté financière). Plus précisément, les établissements financiers palestiniens pourront accorder des prêts (aux titulaires des comptes) et les banques privées le feront au secteur public. Il en résultera une manne financière nouvelle qui permettra à l’AP de sortir la tête de l’eau. À ce jour, l’économie palestinienne est particulièrement fragile : l\’AP gère 150 000 emplois dans le secteur public (des zones A et B de Cisjordanie et dans la bande de Gaza). Or, le budget de 330 millions de dollars (en 2021) dont elle dispose, est financé en grande partie par des donateurs étrangers.

En outre, les banques palestiniennes pourront réclamer le versement de commissions nouvelles (l’accord prévoit le versement d’une commission de 1 dollar lors des versements de salaire hebdomadaire). Enfin, bon nombre de travailleurs palestiniens a recours au service de « courtiers israéliens en permis de travail » qui leur obtiennent des permis de travail contre rémunérations (parfois importantes). Le mécanisme les dispensera de financer ce service, ce qui augmentera d’autant leur revenu disponible.

L’AP a donc immédiatement entendu rassurer les travailleurs palestiniens : aucune nouvelle taxe ne leur sera réclamée et le dépôt des fonds en banque leur profitera directement.

Côté israélien, le Ministre israélien de la Défense Benny Gantz a présenté les avantages du partenariat pour l’État d’Israël. Outre le renforcement de l’économie palestinienne auquel Israël contribuera, il y aura avant tout une diminution de l’économie souterraine israélienne. Par ailleurs, l’obligation pour les employeurs israéliens de verser les salaires sur des comptes bancaires permettra au gouvernement de recouvrer les charges sociales (qui en sont l’accessoire), ce qui supprimera la disparité de concurrence entre les sociétés israéliennes qui embauchent des travailleurs israéliens et celles qui ont recours à la main d’œuvre palestinienne.

Effectivement, il est beaucoup plus intéressant (financièrement) pour les Palestiniens de travailler en Israël puisque les rémunérations (180 shekels par jour pour les emplois non qualifiés) sont doubles de celles qu’ils pourraient percevoir dans les territoires sous contrôle palestinien. Aujourd’hui, 174 000 Palestiniens se rendent chaque jour Israël (outre 31 000 travaillent dans les implantations juives de zone C sous contrôle israélien en vertu des accords israélo-palestiniens de paix), et ce en dépit des lourdes contraintes administratives : les travailleurs sont parfois tenus de patienter de longs moments au point de contrôle pour rejoindre leur lieu de travail.

Pour autant, ce nouveau partenariat économique ne réjouit pas les travailleurs palestiniens. Tout d’abord, ils s’estiment victimes d’un chantage (soit ils acceptent, soit ils perdent leur permis de travail). Par ailleurs, ils craignent que l’AP mette progressivement en place un système de protection sociale auquel ils seront tenus d’adhérer, et ce, dans la plus grande opacité (il en résultera un coût supplémentaire sans retour sur investissement). Enfin, ceux qui travaillent sur plusieurs sites risquent de perdre certains de leurs emplois. En réalité, et au-delà des inquiétudes, les Palestiniens n’ont aucune confiance dans le système institutionnel palestinien corrompu et redoutent que les flux de trésorerie ne servent qu’à alimenter l\’AP (alors qu’elle n’a plus aucune légitimité dans la rue palestinienne). Une partie d’entre eux a donc décidé d’un mouvement de grève et l’organisation de manifestations devant les points de contrôle (tous les dimanches matin) jusqu’à l’annulation de la décision…

La volonté israélienne de trouver les bases d’accords économiques avec les Palestiniens n’est pas nouvelle : le 18 décembre 2016, le gouvernement Netanyahu avait publié la résolution gouvernementale n° 2174 intitulée « Augmenter l\’emploi des travailleurs palestiniens en Israël de la région de Judée-Samarie, améliorer la manière de délivrer les permis de travail et garantir des conditions de travail équitables pour les travailleurs palestiniens ». Depuis, le nombre de permis de travail accordé aux palestiniens n’a cessé de croître : 24% en Cisjordanie et 18,4 % dans la bande de Gaza. De même, le revenu des travailleurs palestiniens qui représentait 6% du revenu national brut palestinien en 2011, est passé à 16 % en 2021.

Bien évidemment, le nouveau partenariat participe incontestablement d’une volonté, pour Israël, de parvenir à une paix économique, prélude à une normalisation complète des relations israélo- palestiniennes. Cette philosophie inspire également les relations entre Israël et les Palestiniens de Gaza où la crise économique est encore plus violente (avec un taux de chômage de près de 50 %).

A la suite du conflit entre Israël et le Hamas en mai 2021, l’État juif a entendu rassurer les Palestiniens (de la bande côtière) qui ne se sont en rien responsables de la mentalité guerrière et assassine de leurs dirigeants. En septembre 2021, Israël a alors annoncé la délivrance de 7 000 permis de travail à des Palestiniens de Gaza. Peu après, la Coordination israélienne des activités gouvernementales dans les territoires (Cogat) a fait part d’une augmentation de ce chiffre  de 3 000 (le portant le total à 10 000), avant que le nombre de permis de travail ne soit fixé à 20 000 quelque mois plus tard. Il s’agit d’un progrès considérable lorsque l’on se souvient qu’en 2006, Israël avait interdit aux palestiniens de Gaza de travailler en Israël.

C’est bien sur le plan économique qu’il convient de trouver un intérêt commun. Rappelons qu’au cours de ces dernières années, Israël a augmenté les quotas de permis de travail accordés aux Palestiniens, mais également introduit des quotas dans de nouveaux secteurs comme la haute technologie ou la santé, le domaine de la restauration et de l’hôtellerie.

En établissant les bases d’un partenariat « gagnant-gagnant » avec les Palestiniens de Gaza, Israël devrait parvenir à les responsabiliser : soit ils cessent de tirer des roquettes (et autres missiles) sur Israël, soit les points de passage de Beit Hanoun et d\’Erez resteront fermés (ce qui empêchera les gazaouis de venir travailler).

Les réalités économiques priment les considérations idéologiques : s’acharner à vouloir détruire Israël est parfaitement contreproductif.

Bertrand Ramas-Muhlbach

 

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