par Michel Arouimi (Camion Blanc, 2022, 266 p.)
Amy Winehouse, auteur des paroles et de la musique de la plupart de ses chansons, a réussi à exprimer l’essence même de l’art, voué à pacifier les tensions qui agitent le groupe humain, comme elles déchirent l’esprit de l’artiste. Le texte de certaines de ses chansons révèle une conscience éveillée de cette vocation. Cette révélation se fait aussi par l’apparence de la chanteuse : ses vêtements, son maquillage : autant d’interprétations de la contradiction abyssale, qui est l’objet de cette pacification ?
L’artiste Amy s’est fabriqué une image qui est celle de cette contradiction : en conjuguant des stéréotypes esthétiques éculés mais qui, poussés à leur limite, permettent la création d’une image de marque très personnelle. La simple femme que fut Amy se distingue par des traits non moins suggestifs, d’abord physiques : oiseau de nuit et brebis ; de même avec ses traits comportementaux : ultra féminine, malgré les dispositions assumées d’un garçon manqué ; souvent vulgaire dans son parler, mais avec un aplomb aristocratique. Cette double polarité est encore celle de l’écriture de ses chansons, dans une langue très leste, malgré une étonnante rigueur de la construction poétique. La structure poétique des chansons, fait revivre ingénument les idéaux communs aux grandes traditions. Ce phénomène est pourtant masqué par une langue souvent argotique et par la trivialité des motifs qui, dans ses chansons, peut aveugler celui qui les écoute.
Une science innée de la mesure s’emploie encore dans la construction même des deux albums publiés par Amy. Sans doute cette construction a-t-elle été voulue par Amy, connue pour contrôler les moindres aspects de son travail, avec un professionnalisme que ses pairs ont jugé insurpassable. — Jusque dans la tenue de scène des choristes, et dans l’éclairage de la scène.
En toute circonstance, Amy est sans fard, dans son rapport avec autrui et dans son aspect : le trait outrancier de l’eye-liner est plutôt la dérision des enjolivements du maquillage. Ne voyons pas de l’inconscience dans ces libertés, qui expriment une vision du monde globalisante et unificatrice ; quand s’abolit la frontière entre la vie quotidienne et la vie artistique, mais encore entre soi-même et autrui.
Les photographes et ou les vidéastes qui ont travaillé pour elle, étaient ses amis. Et donc partageaient les intuitions de la chanteuse. Ils sont en effet parvenus à traduire, dans des photos connues et dans des vidéo-clips mémorables, l’enjeu esthétique et spirituel des chansons d’Amy. Le présent ouvrage se partage entre l’analyse des textes chantés et la symbolique sophistiquée de leur présentation visuelle.
Fait très surprenant : l’étrange capacité d’Amy, quand elle pose devant une caméra, à ne faire qu’un avec le décor qui l’environne. Le photographe (ou Amy elle-même ?) traduit ainsi, l’unité profonde où se rejoignent les êtres que nous sommes et le monde extérieur : un problème de métaphysique, qui transparaît d’ailleurs dans les textes de chansons écrits par Amy : la perfection peu apparente de leur facture, vaut comme une célébration de cette unité idéelle. Le génie d’Amy est encore d’exprimer l’essentiel dans un langage des plus quotidiens, voire trivial. Mais c’est la tendance qui est celle de nombreux grands artistes. Amy ayant à cet égard l’avantage d’un degré de conscience assez affirmé, si l’on en croit certaines de ses paroles (chansons ou interviews).
La vie personnelle d’Amy n’est pas oubliée dans cet ouvrage. Une sorte de logique semble commander son destin, comme si les écueils de sa vie matérialisaient la contradiction qui est notre lot, cette contradiction dont l’origine paternelle selon René Girard (au-delà de la biographie), est cernée dans le texte de certaines chansons.
La drogue et l’alcool, auront été pour Amy le moyen d’une appréciation quasi religieuse du monde extérieur : avec le sens du lien entre les êtres. Mais, en l’absence de toute préoccupation religieuse, un tel privilège comporte un revers — s’il conforte subjectivement l’effacement violent des différences, auquel est en proie la société moderne. Amy n’était guère soucieuse du sacré. Mais cette indifférence apparente recouvre une expérience personnelle qui, sans qu’on puisse la qualifier de mystique, engage ceux qui écoutent et qui regardent Amy sur la voie d’un questionnement spirituel.
Les signes religieux qu’elle arborait volontiers révèlent cette dimension, malgré leur valeur ludique. Le hasard de quelques photos prises à la sauvette suggèrent l’identification impensable d’Amy — son corps, vêtement et posture — à un objet sacré, dont l’existence même est plus que probable dans la demeure d’Amy.
Le destin tragique de certains « artistes » modernes semble dû, plutôt qu’à la pression du vedettariat, à la fracture qui sépare leur œuvre du sens spirituel auquel elle pourrait prétendre, même si eux-mêmes n’ont cure (ou n’ont seulement pas conscience) d’un tel sens. Si les artistes ne touchaient le public qu’en lui renvoyant l’image de ses appétits les plus communs, il suffirait à ce public de se regarder dans un miroir, en dédaignant leurs créations. Mais leurs œuvres nous confrontent à ce qui, dans tous les sens du mot, transcende notre espace mental.
On a tout dit du génie musical d’Amy, inclassable malgré les emprunts évidents à différentes tendances de la pop anglo-saxonne, surtout américaine. Du « Motown revisité XXIe siècle », comme l’observait un critique musical. Très juste aussi, l’idée, chez un autre critique, d’un avatar du gospel. L’influence des chanteurs afro-américains se produisant dans une église sur les représentants de la soul anglaise, perdait néanmoins chez ces derniers la composante ou du moins l’enjeu religieux de cette musique. Amy, fleur du terreau londonien, et malgré l’expérience musicale de certains de ses oncles, jazzmen expérimentés, n’a pas remonté le courant jusqu’à cette passion religieuse. Mais ses musiques, ou plutôt la manière dont sa voix donne un surcroit d’impact à la mélodie, produisent un effet auquel le monde entier a été sensible et qui, s’il ne mérite pas d’être qualifié de religieux, implique le tréfonds de notre être.
Le présent ouvrage ne proposera pas une analyse de ce phénomène, abordé par des spécialistes. Mais l’originalité de nombreux chapitres est de mettre au jour un art poétique dont la profondeur n’a pas été jusque-là assez analysée. Les journalistes et les biographes ont tendance à ramener l’art d’Amy aux lieux communs qui concernent son univers artistique. Une lecture attentive des chansons et de l’image même d’Amy transcende ces préjugés.
J’ai donc succombé à la sirène, entrevoyant dans son sillage une voie nouvelle, pour le but indéfinissable que je poursuis depuis longtemps dans des recherches, pas seulement littéraires. Les journalistes ont eux-mêmes remarqué la dimension rimbaldienne du destin artistique d’Amy… Entre Arthur et Amy, le rapport est surtout celui du vécu ; la culture livresque du premier, n’en déplaise aux pourfendeurs du logos, remplit l’espace qui malgré tout sépare ces deux étoiles. Je n’ai d’ailleurs que peu d’intérêt pour les frasques pitoyables qui passent pour avoir été l’ingrédient du génie d’Amy. On apprécie mieux ce dernier en les ignorant ; ou en les considérant comme un effet du désengagement du sacré, assumé par Amy en vue d’une catharsis ayant ce dégagement pour objet. Amy dramatisant un peu malgré elle le relatif oubli du rôle qui est celui des hommes, vis-à-vis des principes qui les engendrent et qui définissent les lignes de leur existence.
Tous les fans d’Amy, et jusqu’à certains personnages importants de son proche entourage, se sont vantés d’avoir bénéficié d’un rapport privilégié avec cette étoile. Je me suis permis, en faisant le bilan d’une expérience personnelle, et dans le seul espace d’un chapitre assez bref, de mieux comprendre la douleur de vivre qui fut la sienne. Si les roses séchées photographiées sur la couverture de l’ouvrage n’appartiennent qu’à moi (une relique personnelle), elles n’en évoquent pas moins celles dont Amy se paraît : comme un signe du mystère que les grandes traditions symbolisent justement par cette fleur. Si le nombre des chapitres de cet ouvrage (trente-deux) n’est pas moins suggestif, il n’a pourtant pas été calculé…
La suite de l’article se trouve dans le prochain numéro d’Israël Magazine
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