Robert de Niro par temps Mossad

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par Avroum Bar Shoshan

 

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Il détourne les fleuves et fait gagner les guerres

Il est devenu l’archétype de l’espion, un ovni nommé Eli Cohen, un Égyptien devenu syrien, et en fait un « Zelig », un chameleon man comme l’a représenté Woody Allen (Be a Chameleon Man and be a Hero!), mais sur le mode héroïque et tragique. Au demeurant, et dans son authenticité juive, un Israélien de Bat Yam, « Fille de la Mer ». Figure emblématique du Mossad et de tous les services d’espionnage universel, Eli Cohen n’en finit pas de fasciner et d’inspirer livres et films. Et l’on a encore au fond de la rétine, depuis sa diffusion en septembre 2019, la série de Netflix en six épisodes de The Spy / L’Espion, du réalisateur israélien Gideon Raff, avec l’étonnant acteur britannique Sacha Baron Cohen qui renonçait là à ses rôles d’humoriste pour incarner de sa haute stature l’impassible et grave Eli Cohen, ce Juif arabe chassé d’Égypte par Nasser en 1957 après la crise de Suez et qui, contacté et formé par le Mossad, deviendrait, par sa vertu caméléonesque et zéligienne, l’intime des plus hautes autorités syriennes ; grâce à son amitié avec le général Amin al-Hafez, futur président de la Syrie, l’espion allait permettre, en fournissant des plans topologiques secrets, d’empêcher la dérivation du Jourdain qui aurait privé d’eau le lac Tibériade et tout Israël, puis surtout, plus tard, par ses précieux renseignements sur les fortifications militaires sur le plateau du Golan, la victoire fulgurante d’Israël sur les armées arabes coalisées dans ce qu’on a appelé la Guerre des Six Jours (2-10 juin 1967).

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Eli Cohen

Un parfum d\’Afrique à Buenos-Aires

Si la série télévisée a été faite à partir du livre L\’Espion qui venait d\’Israël écrit à chaud par Uri Dan et Yeshayahu Ben Porat (L\’espion qui venait d\’Israël, Fayard, 1967), avec un tournage qui a eu lieu essentiellement dans la ville de Casablanca, c’est de cette même ville que prend son envol Paule Darmon, écrivaine marocaine francophone, native de Casablanca, mais résidant à Buenos Aires, pour nous donner, plus qu’un récit de vie, un roman (Robert de Niro, le Mossad et moi, éditions de l’Antilope, Paris, 2022, 256 p., 19,90 €) où elle mêle adroitement ce que l’on sait d’Eli Cohen ─ mais à partir du livre que lui consacra son avocat Jacques Mercier (Eli Cohen le combattant de Damas, Robert Laffont, 1982) et assez différent du précédent ─ à ses propres souvenirs aventureux, ou sulfureux, et son affabulation autour de cet acteur phare d’Hollywood, Robert De Niro. Avec, pour déclic, chez la narratrice, une photo de cette biographie, dénichée par hasard dans le bac d’un bouquiniste parisien, qui la bouleverse et la catapulte sur cette piste déroutante :

« La photo du général Hafez, de profil, occupait une page entière. Un portrait si stupéfiant de ressemblance que je dus lire plusieurs fois la légende pour me convaincre qu’il ne s’agissait pas de la photographie de mon père, mais bien celle du numéro un syrien de l’époque. »

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Robert De Niro

 Le paradis perdu marocain

Nous sommes à Casablanca et la narratrice, une scénariste de cinéma nommée Dora Bessis, prend le thé chez ses amis, sans nulle barrière ethnique ou religieuse, et l’on parle et papote à n’en plus finir comme on aime le faire en Orient où le verbe est roi, et c’est l’hôtesse Zoraida qui donne le la :

« Ce qu’il y a de bien, avec vous, les Juifs, c’est qu’on ne s’ennuie jamais. »

D’où les liens actuels renforcés entre le Maroc et Israël, cette rivalité de deux terres promises s’achevant sur une embrassade habibichéri-chérifienne. Et c’est vrai qu’ici les histoires s’entremêlent en un vrai zigzag : d’une part, ce récit d’espionnage dont la scénariste aimerait bien faire un film et qui va la mener, par quelque heureuse coïncidence, à New York, et d’autre part, dans une sorte de mise en abyme, les tribulations d’Isidore, un cousin de la narratrice, impliqué dans l’opposition politique au roi du Maroc et purgeant à Kénitra une lourde peine de prison. Entre le Maroc et les États-Unis, elle se remémore ce qui, pour tous les bannis du Maghreb, représente le paradis perdu. Les voilà, tous ceux de sa génération auxquels elle se confronte :

« La plage, le café, les filles, les surprises-parties, représentaient le bonheur. Ils étaient jeunes. Au sortir de la guerre, ils avaient l’avenir devant eux. Ils travaillaient, faisaient des kilomètres à bicyclette pour aller camper, se retrouvaient tous les jours à la plage entre midi et deux heures. S’amuser, rire, danser, faire l’amour, à part le travail, rien d’autre ne comptait. Pourquoi aurais-je besoin, moi, d’autre chose ? »

Comment mettre De Niro de son côté

Albert Camus a su parler de cette morosité des Méditerranéens, de la mélancolie de ceux qui vivent si près des dieux qui « parlent dans le soleil » qu’ils en sont aveuglés, à l’instar de Meursault, se sentent hors-jeu dans l’Éden, et s’éprouvent comme « étrangers ». Comme l’était forcément Eli Cohen, camouflant son accent égyptien en pur parler syrien, puis devenant argentin, à l’instigation du Mossad, pour se lier à la communauté des turcos (alias levantins) de Buenos Aires, et donc mêlant son arabe à l’espagnol du Rio de la Plata. Pour corser l’appréhension d’une telle personnalité éclatée, nous le voyons marié à cette Israélienne d’origine irakienne, à Bat Yam, banlieue de Tel Aviv et « fille de Jérusalem » selon son étymologie, « noire et belle/gracieuse » (שחורה־אני־ונאוה), et en même temps lié ou marié (on ne sait au juste) à une jeune et belle Damascène ; alors oui, vraiment, son Moi était en miettes. Mais assumant le destin habituel et tragique des espions, depuis Mata-Hari (alias Margaretha Geertruida), il finirait sous la potence à Damas, traître pour les Syriens, héros pour les Israéliens.

Quête lancinante

Un peu de cet émiettement psychologique et physique passe chez cette Dora qui entend faire le siège du grand De Niro avec un culot qui semble calqué sur l’incroyable houtzpa, cette insolence hébraïque, de l’espion israélien. La rencontre avec la star est un des morceaux de bravoure du livre. Dora a réussi à forcer la porte de l’acteur à qui elle destine le rôle du Loup de Damas ─ titre de son scénario ─ mais poireaute si longtemps au « pharaonique salon » qu’elle réveille dans son corps un terrible lumbago :

« J’inspire et expire lentement, dans l’étirement douloureux de toute ma colonne vertébrale, quand l’astre du cinéma fait irruption dans la pièce. Comme prise en flagrant délit, je me redresse brusquement, et m’écroule à ses pieds avec un grand cri ».

Et alors là, Paule Darmon nous livre le portrait le plus imprévu, incongru, inédit, de son Bobby qui a l’air de sortir de l’écran de Raging Bull, le « taureau du Bronx » :

« Hirsute, le regard ahuri, robe de chambre à ramages ouverte sur un tronc glabre, mules de cuir fin rouge, et poils aux mollets, comme dans le dessin publicitaire de René Gruau pour l’Eau sauvage de Dior, Robert De Niro me tapote les joues. »

Le plaisir dans la douleur

Trop beau pour en rester là, la romancière ne veut pas se priver d’un plaisir qui est celui de toutes les admiratrices du héros foldingue de Taxi Driver :

« Bobby effectue alors un quart de tour pour se placer derrière moi, et son corps nu sous la soie du peignoir vient se plaquer dans mon dos tandis qu’il resserre son étreinte. J’émets alors un râle de douleur vraie ─ à ne pas confondre avec un gémissement de plaisir ─, le contact du ventre de Robert De Niro contre mon dos était tout simplement tourneboulant ».

Mais comme dans les films des Marx Brothers qui n’ont jamais montré que la catastrophe (juive) en action, la rencontre avorte et finit à l’hôpital, où l’on remettra les vertèbres de la protagoniste à l’endroit et cette histoire tourneboulée d’un espion venu, non du froid, mais du chaud (à l’inverse de John Le Carré) à sa juste place ; et le « Synopsis pour un film de fiction long métrage » de Dora Bessis finira dans les cordes, pour plonger aux oubliettes. Il n’en restera que ce récit aux multiples voix, confus à foison, délirant à loisir, et qui, brodant une histoire vraie, pathétique et folle, sur un tapis du Haut Atlas tissé main, déroule un étonnant conte oriental, qu’on lira avec ravissement jusqu’au bout de mille et une nuits.

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Avroum Bar Shoshan

(alias Albert Bensoussan)

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1 réflexion sur “Robert de Niro par temps Mossad”

  1. Sûrement un roman où l’on ne s’ennuie jamais! Présenté de surcroît avec une aussi admirable verve par Albert Bensoussan! Quel régal!

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