BERNARD-HENRI LÉVY, LA PHILOSOPHIE À LA LUMIÈRE DE LA TORAH
Par Lydie Turkfeld* pour Israel Magazine (2016)
Que n’a-t-on pu lire, que n’a-t-on entendu, sur le philosophe à la chemise immaculée ? Des critiques et des attaques – justifiées lorsqu’elles relèvent du débat intellectuel et l’alimentent ; médiocres – a minima – le reste du temps. L’écume de l’opinion. Seules comptent les idées. Celles de Bernard-Henri Lévy, touchent ses contemporains, inspirent les gouvernants. Et le « blanc » dont il se revêt, évoque autant Yona, la colombe, que l’autre Yona, Jonas – le prophète mandaté auprès d’un peuple en perdition… Lorsque la star des intellectuels français se penche sur l’esprit du Judaïsme, cela produit des étincelles… La Torah, « grille de lecture » du monde inégalable, le peuple sable, accompagnateur des nations, et un judaïsme d’affirmation, constituent les meilleures garanties contre toutes les formes de terreur.
Avec L’Esprit du Judaïsme, le philosophe propose l’un de ses ouvrages les plus engagés et personnels. Autoportrait en filigranes, son essai nous entraîne au cœur de la sagesse juive et de la compréhension du monde. Où l’on entend que le Livre joue la « musique » de l’homme… On y retrouve la France et l’esprit juif, si souvent à l’œuvre dans la société, la politique, les sciences et les arts. L’antisémitisme aux mutations redoutables. La mémoire de la Shoah, qui aiguise l’attention à toutes les souffrances. Israël, une exception encore en devenir mais, déjà, admirable. Autant de réflexions qui font de cet Esprit du Judaïsme un livre puissant, nécessaire et beau. Porteur d’une surprise : la source de vie qu’il a souhaité mettre en lumière, associe l’intellectuel flamboyant lui-même à cette « révélation ».
Votre essai constitue un vibrant plaidoyer en faveur de la sagesse issue du Livre : pourquoi cette nécessité de partager ce que vous qualifiez de « suite » du Testament de Dieu, précisément maintenant ?
Bernard-Henri Lévy : Ce livre est l’aboutissement d’un travail de longue haleine, réalisé au fil des décennies. Mais je suis heureux qu’il arrive à ce moment précis, pour que ce que je dis du lien si étroit entre le Judaïsme et la France, tout ce que le Judaïsme a apporté à la culture française, puisse être entendu aujourd’hui.
Le titre initial était Le Génie du Judaïsme, ce qui fait écho au Génie du Christianisme de Chateaubriand. Pourquoi avez-vous opté pour cet Esprit et quelles dimensions avez-vous mises en exergue ?
Le titre n’a jamais été véritablement le Génie du Judaïsme, cela aurait été trop arrogant. L’Esprit exprime mieux ce rapport vivifiant à la lettre, qui est pour moi au cœur de la pensée juive : le refus de la lettre morte, assoupie, figée ; le refus de la lettre bloquée. La lettre remise en mouvement, réentendue à neuf, inlassablement remise sur le métier du commentaire, tout ça c’est l’esprit. J’aime ce mot.
CONTRE L’ANTISIONISME, VERSION CUSTOMISÉE DU VIEIL ANTISÉMITISME : DE PUISSANTS ANTICORPS ET UNE JUDÉITÉ D’AFFIRMATION
Pour lutter contre l’antisémitisme à l’action via trois leviers – l’antisionisme, l’accusation d’instrumentalisation de la Shoah et la concurrence mémorielle, vous observez que les boucliers sont nombreux en France. Néanmoins, les agressions antisémites réitérées créent une vive inquiétude au sein de notre communauté. Comprenez-vous ce désarroi ?
Je partage cette anxiété. Lorsqu’il y a quelques semaines encore, un enseignant est attaqué à la machette à Marseille et que seule sa Torah lui sauve la vie, je suis épouvanté… Je suis un Juif parmi d’autres. Je crois pourtant que les Juifs de France se trouvent dans une « meilleure » situation qu’au moment de l’affaire Dreyfus et dans les années 30. Nous vivons la troisième poussée d’antisémitisme depuis un peu plus d’un siècle mais les anticorps contre cette « lèpre », sont beaucoup plus forts. Et cette force accrue est aussi vraie dans la société française qu’au sein des institutions et chez les Juifs eux-mêmes.
L’une des principales raisons qui me pousse à espérer, est la manière dont la jeunesse juive actuelle, habite son judaïsme et sa judéité, que ces jeunes soient religieux ou laïcs. Il n’y avait rien d’équivalent à la toute fin du 19ème siècle ou dans les années 30. Or les Juifs sont une cible quand ils se font tout petits : la phobie des théoriciens de l’antisémitisme, c’est le Juif vague, le Juif invisible. La fureur antisémite est davantage tenue en respect quand les Juifs s’affirment.
Céline, Drieu la Rochelle, Giraudoux, Morand : les grandes plumes de l’antisémitisme des années 30. De nos jours, ses figures de proue sont Alain Soral et Dieudonné M’Bala M’Bala. Sont-ils pour autant moins dangereux ? Dans le sens où les médias susceptibles de les relayer, sont omniprésents…
Il y a effectivement dans la puissance des réseaux sociaux et dans cette « viralité » nouvelle, quelque chose de périlleux. Mais je crois davantage à la force des idées qu’à celle des supports. Une pensée faible, voire une non-pensée – car dans les cas que vous citez, on est face à des incultes, des hommes aux idées courtes – ne peut pas avoir d’impact durable.
Revenons sur un passage de votre livre. Laurent Fabius aurait été, selon vous, victime d’une forme d’antisémitisme : vous établissez un lien entre le scandale du sang contaminé et l’ancienne accusation de crime rituel lancée à l’encontre des Juifs par les Chrétiens. Croyez-vous réellement que, si le Premier Ministre avait été non-juif, il aurait pu échapper à une mise en cause médiatique et judiciaire – qui a aussi visé deux ministres ?
BHL L’affaire du sang contaminé, est une tragédie absolue, avec des victimes en très grand nombre. Qui qu’ait été le Premier ministre, il y aurait eu une mise en cause des institutions républicaines. C’est dans la façon dont Laurent Fabius a été mis en cause, qu’il y a eu une dimension antisémite : il suffit de regarder les couvertures de la presse d’extrême-droite de l’époque, qui le représentaient en vampire aux lèvres dégoulinantes de sang…
L’ADN JUIF DE LA FRANCE
Vous revenez sur l’histoire de la France et celle des Juifs, intrinsèquement liées. Marcel Proust, Albert Cohen, Emmanuel Levinas – côté littérature et philosophie. Rachi, l’un des premiers à utiliser le français comme langue écrite, et Jean Bodin (16ème siècle), dont les théories politiques ont inspiré la République et son contrat social – pour les dimensions linguistiques et politiques. Sans parler de l’influence du peuple hébreu, le plus libre et le plus ennemi de toute sujétion humaine selon Hobbes. Pourquoi ignore-t-on presque tout de ces contributions ?
C’est au moment de la Révolution Française, que tout cela a été refoulé, par un tour de passe-passe rhétorique assez fréquent dans l’histoire des idées : un « récit écran » a fait naître la République française de la république romaine, occultant progressivement l’autre récit, celui de l’enracinement dans le royaume des Hébreux. Si l’on observe les gens qui ont vraiment pensé l’Etat moderne, dans sa version absolutiste, royale, puis dans sa version républicaine, on s’aperçoit que le fil juif – qu’on l’entende au sens du livre de Samuel ou au sens des récits de Flavius Josèphe, est absolument décisif. J’ai voulu rendre justice à ce petit fantôme juif qui habite l’Histoire de France.
« UN ROC NOMMÉ SION »
Votre ouvrage est aussi un plaidoyer en faveur d’Israël ou plutôt, un rappel de ses vertus. Objet de tant d’attaques, est-ce ce « quelque chose » du destin humain qui s’y joue, qui dérange tellement ?
Oui, même si c’est d’abord la part du destin juif que porte Israël, qui dérange : la haine d’Israël est devenue la forme privilégiée de l’antisémitisme. Mais cette haine qui poursuit les Juifs, a partie liée, en effet, à cette part de l’humain qui « grandit » l’homme mais dont les humains ne veulent parfois rien entendre…
Lorsque vous arrivez en Israël lors de la Guerre des Six Jours, une émotion intense s’empare de vous : vous n’êtes pas en mesure de l’expliquer… Est-ce un lien « mystique » qui vous étreint ?
Je suis extrêmement attentif à la spiritualité juive. Une proximité de cœur et de pensée m’unit à ceux qui la portent le plus haut, même si je suis étranger à leur monde. Depuis 30 ans, je n’ai pas pu aller dans les quartiers dits ultrareligieux de Jérusalem, sans être saisi d’une très grande émotion. Mais, en 1967, le sentiment qui m’envahit est celui de l’appartenance à cette terre que je ne connais pas et qui parle à mon âme en secret, comme l’écrit Baudelaire.
ETRE JUIF C’EST ESCORTER LES NATIONS SUR LE CHEMIN DE LEUR PROPRE RÉDEMPTION
Vous expliquez pourquoi l’élection du peuple juif n’équivaut pas à une « supériorité » quelconque accordée par D.ieu aux Hébreux. D’ailleurs, l’être-juif se réalise en s’exposant à l’Autre. Or, selon vous, on n’est Juif que par intermittences : qu’entendez-vous par là ?
Je crois qu’il ne suffit pas d’être né juif, pour l’être. Ce que le Judaïsme prescrit, c’est de penser toujours à neuf. Il ne suffit pas de répéter des mots que d’autres ont dit avant, il faut les habiter autrement : c’est très difficile bien entendu… On n’atteint l’excellence de son être juif, qu’à certains moments de sa vie ou de sa journée. Le Judaïsme n’est pas une « condition ».
- *En collaboration avec André Darmon
La suite de l’article se trouve dans le prochain numéro d’Israël Magazine
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